30/10/2024 basta.media  7min #259694

Isf climatique, taxe sur le kérosène : où trouver les milliards de la transition environnementale

L'État doit investir des dizaines de milliards d'euros pour faire face au changement climatique. Le projet de budget 2025 veut au contraire réduire les dépenses pour l'environnement, alors que des solutions existent pour financer la transition.

La France s'est engagée en 2015, avec l'Accord de Paris, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d'ici à 2030. Et pourtant, le pays peine encore à intégrer cet objectif dans sa politique budgétaire. « La programmation pluriannuelle des finances publiques n'intègre pas pleinement les enjeux liés au réchauffement climatique et à la transition énergétique », pointait la Cour des comptes cet été.

Le budget pour 2025 présenté par le Premier ministre Michel Barnier début octobre n'arrange pas les choses. Le gouvernement veut récupérer 60 milliards d'euros de marge financière l'année prochaine. Un tiers de cette somme doit provenir de réduction des dépenses. La transition environnementale n'y coupe pas.

Le projet de Barnier prévoit de réduire d'un tiers le budget de l'Agence de la transition écologique (Ademe), qui finance des projets d'énergies renouvelables. Est aussi prévue une baisse de 60 % du budget du Fonds vert, principal levier de financement de la transition écologique locale. La Stratégie nationale biodiversité doit de son côté voir son budget divisé de moitié.

Il faudrait pourtant 34 milliards d'euros par an d'investissements publics d'ici 2030 pour financer la transition écologique face au changement climatique. C'est ce qu'avait calculé l'an dernier l'économiste Jean Pisani-Ferry, à qui le gouvernement avait confié la mission d'évaluer les besoins de financement pour le climat.

« Il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans. L'accélération est brutale »,  insistait-il alors. Il n'a pas été écouté. « L'urgence climatique est devant nous et ça coûtera plus cher de ne pas financer la transition que d'augmenter aujourd'hui les prélèvements obligatoires », alerte aujourd'hui Vincent Drezet, membre du conseil scientifique d'Attac. Les objectifs fixés par la « Stratégie nationale bas carbone » pour 2030 - déjà moins ambitieux que la feuille de route européenne - sont encore loin.

Un impôt sur les grandes fortunes polluantes : 17 milliards

Des mesures existent pour réorienter le budget vers une fiscalité plus verte. En France, le patrimoine financier de 63 milliardaires français émet autant de gaz à effet de serre  que celui de 50 % de la population française, d'après une analyse d'Oxfam et Greenpeace. « Ces inégalités vertigineuses posent la question du partage de l'effort dans la transition écologique à accomplir », pointent les deux ONG. Car tous les ménages paient une taxe carbone sur le carburant et le gaz. « Aujourd'hui, la fiscalité carbone pèse quatre fois plus lourd en proportion de leurs revenus sur les 20 % de ménages les plus modestes, par comparaison avec les 20 % de ménages les plus aisés », soulignent Oxfam et Greenpeace.

Polluants milliardaires

Infographie tirée du rapport intitulé  « Les milliardaires français font flamber la planète et l'État regarde ailleurs », publié par Oxfam et Greenpeace en 2022.

Oxfam et Greenpeace

Pour remédier à cette inégalité, les ONG proposent la création d'un « impôt sur la fortune climatique ». L'ISF climat reposerait sur un principe : taxer les comportements et investissements polluants des plus riches pour financer la transition. « Il s'agit donc de restaurer l'ancien impôt de solidarité sur la fortune et d'ajouter un malus calculé en fonction de l'empreinte carbone des investissements, pour lutter contre l'injustice climatique », explique Oxfam. Le calcul de l'ISF climat prendrait en compte deux variables : le niveau de patrimoine et son impact sur le climat, soit l'empreinte carbone des investissements. Un portefeuille d'actions dans TotalEnergie sera ainsi davantage imposé qu'un investissement dans une entreprise de recyclage. De plus, une telle taxe « encouragera les plus fortunés à décarboner leur portefeuille financier », pense Oxfam.

La mise en place de cet ISF climatique rapporterait à 17,6 milliards d'euros par an, selon Oxfam. Autant de fonds qui pourraient être investis dans la transition. Le Nouveau Front populaire a aussi inscrit la création d'un ISF avec une composante climatique dans ses  dix propositions pour le budget 2025. Il s'agirait d'un ISF avec différentes composantes, dont un « bonus-malus sur le contenu carbone du patrimoine », soit une taxation des investissements nocifs pour le climat.

Taxer l'addiction à l'avion : au moins 5 milliards

Certains modes de transport sont aussi beaucoup plus polluants et plus inégalitaires. Selon le Réseau action climat (Rac), en France, les 20 % des ménages les plus aisés concentrent, par le recours à l'avion, 42 % des émissions de l'aérien. L'association  propose la création d'une taxe grands voyageurs : plus un passager prend régulièrement l'avion, plus le prix unitaire d'un billet augmenterait.

« C'est tout à fait anormal que quelqu'un qui prend une fois l'avion par an paie la même taxe que quelqu'un qui va partir trois ou quatre fois par an », fustige Émeline Notari, responsable du financement de la transition écologique au Réseau action climat. Selon l'association,  cette mesure permettrait de baisser les émissions françaises du secteur aérien de 13 %, tout en générant 2,5 milliards de recettes pour l'État.

Une autre mesure pourrait rapporter gros : taxer - enfin - le kérosène. C'est aussi proposé par le Nouveau Front populaire, et cela pourrait rapporter 1,5 milliard d'euros par an d'après les calculs du NFP. Aujourd'hui, pour les automobilistes, les taxes  comptent pour environ 60 % des prix de l'essence et du gazole à la pompe. Alors que le carburant des avions, lui, n'est pas taxé. L'exonération de taxe sur le kérosène représente un manque à gagner de 3,6 milliards d'euros par an, d'après une estimation du Réseau action climat.

Michel Barnier n'a tout de même pas complètement oublié l'aérien dans son budget. Il prévoit d'augmenter la taxe Chirac, ou taxe de solidarité sur les billets d'avion prélevée sur les vols au départ de la France, qui pourrait doubler, pour rapporter 1,5 milliard d'euros en 2025. Le NFP se veut plus ambitieux et propose l'élargissement de cette taxe aux jets privés en location, qui n'y sont pas encore soumis. Cette taxe sur les jets privés rapporterait quatre milliards d'euros par an, selon le Rac.

Supprimer progressivement les niches fiscales anti-écologiques : plus de 60 milliards

Le fait que le kérosène des avions ne soit pas taxé, c'est une niche fiscale. Les niches fiscales climaticides prennent différentes formes. Il y a par exemple le tarif réduit pour les carburants des taxis et des véhicules de transport de marchandises. Pour y voir plus clair,  le Rac s'est chargé de faire le calcul. En 2023, le manque à gagner était de 67 milliards d'euros selon l'association « 67 milliards d'euros d'argent public qui subventionnent des activités contribuant au dérèglement climatique », dénonce le Rac.

Certaines niches sont à vocation sociale, comme le bouclier tarifaire ou le chèque énergie. Les supprimer peut être néfaste pour les ménages qui en dépendent. « Il est donc impératif de penser leur accompagnement pour les sortir durablement de leurs dépendances à ces niches », écrivait  le Réseau action climat dans un rapport fin 2022. Supprimer certaines niches risquent aussi de bouleverser le modèle économique - mais polluant - de certains secteurs, comme l'exonération sur le « gazole non routier » des agriculteurs, et de provoquer des contestations sociales.

Pour éviter de telles crises, l'argent ainsi récupéré doit être bien utilisé, souligne Émeline Notari, du Réseau action climat. « Cet argent doit être dirigé vers le développement, l'accès aux solutions, la redistribution aux plus précaires, comme ceux qui n'ont pas accès à la voiture thermique », soutient l'experte.

Malo Janin

Photo : CC0

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